Crises et capitalisme. Que disent les théories? 6

Publié le par Matthieu Montalban

Dans les précédents articles, nous avons pu étudier des théories qui insistaient chacune sur telle ou telle cause des crises capitalistes, de façon relativement universelle. Pourtant, même si le capitalisme reste le capitalisme, il est indéniable que celui-ci a changé de forme entre l'époque où les Classiques et Marx écrivaient et aujourd'hui. Et en changeant de forme, le fonctionnement et les causes de fragilité du capitalisme ont évolué. Comme d'ailleurs ses régulations. Et plus important encore, contrairement à ce que Marx pensait par exemple, les crises récurrentes du capitalisme n'ont pas conduit à sa disparition, mais au contraire à sa transformation, son évolution. Il apparaît assez clair que la crise que nous connaissons depuis 2007 n'est pas identique à celle que l'on a connu en 1974, ni même exactement la répétition de la crise de 29.

 

C'est en partant de ces constats et de la nécessité de comprendre la crise des années 70, qu'est née la Théorie de la Régulation. Celle-ci était divisée au départ en gros en trois écoles : la théorie de la régulation de Paul Boccara ; celle dite de Grenoble (Destanne de Bernis), et la Théorie de la Régulation parisienne, initiée au départ par Michel Aglietta, puis Robert Boyer, Alain Lipietz etc... C'est cette dernière qui a connu le plus grand succès et développement et dont je vais parler. La TR va être une tentative de synthèse entre le marxisme, le postkeynésianisme et l'institutionnalisme. L'institutionnalisme, puisque je viens de l'évoquer, est une approche issue des travaux de Thorstein Veblen et de John Roger Commons, qui se propose d'analyser l'économie à partir de ses institutions. Les institutions, ce sont les règles du jeu social, qu'il s'agisse des coutumes, des croyances, du droit, de l'Etat... Les institutions encadrent et orientent le comportement économique des agents en permettant de règler les conflits, assurant la reproduction de la société.

Les régulationnistes reprennent très largement la problématique institutionnaliste, en l'articulant aux problèmes des crises et de leur régulation. En gros, les problématiques centrales de la Théorie de la Régulation pourrait être : "comment un système décentralisé et traversé d'autant de contradictions et conflits que le capitalisme parvient-il à les dépasser? comment expliquer que des modèles économiques un temps considérés comme 'exemplaires' finissent par entrer en crises?"

 

L'originalité de la TR est d'essayer de montrer que les crises sont  endogènes à la période de croissance qui la précède : "toute crise est une crise des structures". Les régulationnistes vont alors proposer des concepts pour comprendre les crises et les transformations du capitalisme.

 

Les régulationnistes, suivant Marx, distinguent un premier niveau d'abstraction (le plus élevé) qui est le mode de production, qui représente un mode d'organisation de la société qui régit les relations entre les hommes, la nature et la production. Un mode de production est fondé sur des rapports sociaux fondamentaux (ou rapports de production) et un certain état des forces productives. Le capitalisme est un mode de production, qui se distingue par 3 rapports fondamentaux +1 : le rapport monétaire, le rapport marchand, le rapport salarial et l'Etat. Le rapport monétaire désigne tout simplement l'existence de la monnaie comme médiation centrale et valeur abstraite qui fonde le règlement des dettes & créances entre agents. Le rapport marchand désigne tout simplement l'organisation décentralisée des relations individuelles par la propriété privée et les prix. Le rapport salarial désigne la séparation entre producteurs et moyens de production, fondée sur la possibilité d'acheter de la force de travail contre paiement monétaire.

 

Mais ces rapports fondamentaux prennent une forme codifiée variable au cours de l'Histoire du capitalisme. Cette codification des rapports sociaux fondamentaux est ce que les régulationnistes appellent les formes institutionnelles :

- la forme de la contrainte monétaire ou le régime monétaire :

- les formes de la concurrence : elles régissent les relations de concurrence et coopération  entre les centres d'accumulation fractionnés (en français : les entreprises), les formes de la concurrence règlent la manière dont les prix sont fixés, les règles qui encadrent les marchés (droit de la concurrence, règlementations sanitaires sur les produtis, degré de concentration-centralisation des activités...) ;

- la forme du rapport salarial : ce sont les règles qui organisent le travail, la mobilisation de la force de travail, sa rémunération et les modes de consommation du salariat ;

- la forme de l'Etat : on désigne ici les modes d'intervention de l'Etat et l'ensemble des compromis institutionnalisés entre les différentes classes sociales ;

- le régime international : il désigne les modalités d'insertion internationale (financière, monétaire et commerciale) des économies nationales.

 

Les deux autres concepts importants sont ceux de régime d'accumulation (ou de croissance) et de mode de régulation. Le régime d'accumulation désigne l'ensemble des régularités assurant une progression générale de l'accumulation du capital. Un régime d'accumulation est marqué par des sources de gains de productivité, le partage de la valeur ajoutée, l'organisation de la production et du rapport salarial et la composition de la demande sociale. Un régime d'accumulation peut être extensif, s'il est marqué par l'extension du travail et des espaces d'accumulation, ou intensif

s'il est caractérisé par l'intensification du travail et la recherche de gains de productivité. Il pourra aussi être qualifié de financier (ou financiarisé), s'il porte essentiellement sur la recherche de la valorisation des actifs financiers. En somme, le régime d'accumulation désigne les principales sources de croissance et la manière relativement stabilisée dont le circuit macroéconomique se boucle sur longue période : quelle est la source des gains de productivité? La croissance est-elle tirée par la consommation ou l'investissement? La répartition du revenu permet-elle une augmentation équilibrée de la demande? etc...

Le mode de régulation quant à lui désigne l'ensemble des procédures et comportements, individuels ou collectifs, qui permettent de reproduire les rapports sociaux fondamentaux à travers la conjonction de formes institutionnelles historiquement déterminées, soutenir et piloter le régime d’accumulation en vigueur et d'assurer la compatibilité d’un ensemble de décisions décentralisées. En somme, un mode de régulation est la conjonction heureuse des formes institutionnelles qui permet une croissance relativement équilibrée sur longue période.

 

A partir de ses concepts, on peut alors étudier les crises et leur forme. Pour comprendre les crises, il faut comprendre le fonctionnement du système (mode de régulation et régime d'accumulation) qui l'a précédé, ce qui suppose d'étudier les formes institutionnelles. Les régulationnistes distinguent différents "niveaux" de crises, en gros les "petites" et les grandes :

- les crises exogènes

- les crises cycliques, qui ne sont que des déséquilibres temporaires qui ne remettent pas en cause le mode de régulation ;

- les crises de mode de régulation : elles se déclenchent que le mode de régulation ne parvient plus à canaliser les déséquilibres de l'accumulation (suraccumulation/sous-consommation, instabilité du taux d'investissement, inflation/déflation, bulle spéculative etc...), elles se traduisent par une transformation du mode de régulation, autrement dit une modification de certaines formes institutionnelles (ex : nouvelles règlementation de la finance, du rapport salarial, des formes de la concurrence etc...);

- les crises de régime d'accumulation : c'est lorsque les sources de l'accumulation et de la productivité qui avaient tiré jusqu'alors la croissance s'épuisent ;

- les crises de mode de production : il s'agit de ce que les marxistes désignent par la "crise finale" d'un mode de production, comme le passage du féodalisme au capitalisme ou l'effondrement de l'union soviétique.

 

Les grandes crises qui ont scandé l'histoire du capitalisme (crise de 29, crise des années 70, crise actuelle) sont des crises soit du mode de régulation soit du régime d'accumulation (ou les deux, ce qu'on appelle une crise de mode de développement). Ce qu'il faut comprendre, c'est que les modes de régulation sont des trouvailles un peu hasardeuses de l'Histoire, car les formes institutionnelles émergent d'abord du conflit entre classes sociales et des compromis qui en résultent, et que rien ne permet à l'avance pour les acteurs de savoir si l'architecture institutionnelle qui sera inventée sera cohérente et efficace. Or l'issue des conflits est inconnue a priori, comme d'ailleurs les possibilités d'invention de compromis et de règles. De fait, la sortie de crise n'est jamais certaine. A contrario, un régime d'accumulation dégénère toujours en crise à un moment ou à un autre, dans la mesure où l'accumulation finit toujours par déborder les modes de régulation "inconsciemment" et collectivement inventés pour le contenir. De plus, le succès même d'un processus d'accumulation va avoir tendance à faire évoluer progressivement les comportements des agents, modifiant peu à peu la viabilité du régime d'accumulation et du mode de régulation. En somme, la séquence historique est la suivante :

 

Grande crise - - - - > conflits sociaux - - - - > compromis (?)- - - > évolution des formes institutionnelles - - -- > mode de régulation - - -> régime d'accumulation stabilisé (mode de développement) - - - > modification progressive des comportements - - - -> déstabilisation du mode de régulation et/ou du régime d'accumulation - - -> au delà d'un certain seuil grande crise...

 

Précisons qu'une crise économique ne dégénère pas directement en crise politique et réciproquement. La découverte d'un compromis ne se traduit d'ailleurs pas "mécaniquement", bien au contraire, par une architecture institutionnelle cohérente. Notons ensuite que la démocratie, en permettant la médiation des conflits et en "forçant" le capitalisme a changé, est aussi peut être ce qui lui permet de se reproduire.

 

Comment alors sont interprétées les grandes crises du capitalisme par la TR?

 

Commençons par le capitalisme du XIXème et de ses crises. Le capitalisme du XIXème siècle était marqué par un régime d'accumulation principalement extensif, puisqu'à l'époque, la force de travail n'était encore loin d'être totalement salariée, de nouveaux secteurs étaient investis par le capital et la recherche de plus-value passait pour l'essentiel par la recherche de nouveaux espaces d'accumulations. Evidemment, les révolutions industrielles avaient permis des augmentations de la productivité, mais celles-ci étaient limitées par la concentration du capital qui était limitée par le maintien d'une propriété essentiellement personnelle du capital (la généralisation des sociétés anonymes par actions ne se fait qu'à la fin du XIXème). Il s'agit donc d'un capitalisme de petites unités, et le syndicalisme comme d'ailleurs la concentration du capital sont encore faibles au milieu du XIXème. De ce fait, le mode de régulation jusqu'au milieu du XIX est extrêmement concurrentiel : les déséquilibres se traduisent par des baisses des salaires et des prix, les faillites des petites entreprises et leur concentration progressive. Ce sont donc les crises que décrivaient bien Marx, marquées par une surproduction, puis une déflation et une dépression longue.

Progressivement, le capital s'est concentré (apparition des sociétés par actions, développement des banques et des Bourses) amenant les entreprises à monopoliser de plus en plus les marchés (c'est l'époque des "barons voleurs", à savoir Rockefeller, Canergie, qui contrôlaient des pans entiers de l'économie, des grands cartels qui s'entendent sur des prix). Ainsi, les formes de la concurrence apparaissent plus monopolistiques (les Sherman Act et Clayton Act auront peu d'effets sur ces processus) De même, à la fin du XIXème, le syndicalisme devient plus organisé voire institutionnalisé. On passe à une régulation plus "monopoliste", fondée sur la négociation collective, l'entente entre grandes entreprises. De plus, à partir du XXème siècle et de l'après guerre, le taylorisme et le travail à la chaîne "à la Ford" se généralisent. Ford est par ailleurs obligé de proposer des salaires élevés pour éviter le turn over important lié à l'intensification du travail et pour trouver de nouveaux débouchés : ce sont les débuts du fordisme, qui caractérisera un régime d'accumulation intensif avec des gains de productivité élevés, et des salaires qui croissent rapidement assurant des débouchés importants à la consommation. Mais la régulation monopoliste  l'entre-deux-guerres n'était pas encore généralisée. Au contraire, les politiques de déflation (des prix et salaires) sont encore courantes, malgré les luttes sociales. De fait, la production de masse du modèle Ford se développe, mais la consommation de masse des salariés est encore limitée, bien que stimulée artificiellement par le crédit...Il en résulte la crise de 1929, qui est une crise due selon les régulationnistes au caractère non encore stabilisé d'un mode de régulation monopoliste. De plus, le contexte international est celui d'un système financier (dit Gold Exchange Standard) ayant engendré de nombreux déséquilibres monétaires. La réaction à la crise des autorités est totalement à rebours d'une régulation monopoliste : au lieu de baisser les taux d'intérêt, la Fed les augmente. Même dans le fameux New Deal où la politique des grands travaux est appliquée dont on prétend à tort qu'elle fut inspirée par Keynes, le "dogme du Trésor" de l'équilibre budgétaire comme ce dernier l'appelait, est appliqué. Finalement, les seules économies à sortir la tête de l'eau est celle de l'Allemagne, où le nazisme amène une intervention massive de l'Etat et une régulation résolument monopoliste.

 

Après la guerre 39-45, véritable compromis fordiste se mit en place. En effet, le rapport salarial fordiste se généralisa : le travail à la chaîne, la séparation des fonctions d'éxécution et managériale s'approfondit la négociation collective des salaires s'était généralisée amenant une augmentation des salaires égale à celle de la productivité, permettant ainsi que la production de masse trouve en face d'elle une consommation de masse. Le compromis fordiste était un compromis qui coalisait les salariés avec les cadres-managers, fondé sur l'accès généralisé à la consommation via la hausse des salaires en échange de l'acceptation de l'organisation du travail fondée sur la séparation stricte entre fonction d'encadrement et d'exécution, la division des tâches et de "l'intelligence du travail". Ce compromis était viable aussi bien pour les salariés, que pour les entreprises, qui via la production-consommation de masse et l'accumulation intensive, permettait l'extraction d'économies d'échelle et de pofits. L'Etat avait commencé à intervenir de façon massive dans l'économie, que ce soit en matière sociale (Etat Providence) en participant à la socialisation des revenus (soutenant ainsi la propension à consommer) ou via la politique conjoncturelle ou les politiques industrielles, soutenant encore plus la demande et institutionnalisant le compromis fordiste. De plus, le régime monétaire était marqué par un encadrement important du crédit, des politiques monétaires expansionnistes, qui assuraient le financement de l'investissement, et une finance très fortement encadrée (les marchés boursiers ne servaient à rien ou presque et les actionnaires n'avaient qu'un faible pouvoir). Enfin le régime international inventé à cette époque (Bretton Woods etc) était marqué par une relativement faible ouverture au commerce international et un système monétaire international qui garantissait une relative autonomie des politiques monétaires nationales et une faible mobilité internationale du capital. Et chose importante, la peur de l'URSS maintenait un compromis relativement favorable aux salariés par rapport aux actionnaires à l'échelle nationale. Le mode de régulation fordiste était fondé sur les mécanismes monopolistes, à savoir essentiellement l'inflation, l'indexation des salaires à la productivité et les interventions keynésiennes de l'Etat.

 

Cependant, la réussite du fordisme allait entraîner sa propre crise. En effet, tout d'abord la hausse continue des salaires avait amené une augmentation du taux d'équipement des ménages, incitant ces derniers à une demande plus tournée vers la variété. Ensuite, l'acceptation de l'organisation fordiste devenait de moins en moins acceptée par les salariés, qui voulaient une plus grande reconnaissance de leurs compétences et qualification, comme d'ailleurs des conditions du travail plus enrichissantes. Du côté des formes de la concurrence et du régime international, la recherche d'économies d'échelle poussait en permanence les entreprises à rechercher de nouveaux débouchés à l'étranger. Avec le traité de Rome, les cycles du GATT, l'ouverture internationale augmentait, rendant le système moins viable. Cela conduit progressivement la productivité à ralentir (à partir de 68), une hausse de la "composition organique du capital" et donc du taux de profit, chère à Marx.  De plus, le système de Bretton-Woods, fondé sur la parité dollar-or connaissait des soubresauts et fut abandonné au début amenant un flottement généralisé des monnaies. Dans ses conditions, le mode de régulation inventé les années précédentes ne pouvait enrayer la crise et l'inflation, d'autant que les salariés parvinrent au cours des années 70 à obtenir des hausses de salaire supérieures aux gains de productivité. Le choc pétrolier ne fit qu'allumer la mèche d'une crise "stagflationniste" qui n'attendait qu'à se déclencher.

 

Le révolution néolibérale, puis la chute de l'URSS, vont complètement bouleverser le compromis fordiste : on passe d'un compromis salariés managers à un compromis actionnaires managers. La montée du chômage va favoriser la dérégulation du marché du travail, la montée des emplois précaires, la flexibilisation du travail, de nouveaux modes d'organisation du travail plus "responsabilisants', et surtout, le décrochage entre gains de productivité et hausse des salaires. L'objectif ici quasi délibéré est de rétablir des taux de profit élevés. Ce mouvement est accru par un mouvement de mondialsation et financiarisation. En effet, le régime international se fait hyper ouvert, via les processus d'intégrations régionales comme l'Union Européenne, amenant le développement des IDE et des firmes multinationales. La concurrence internationale et la recherche de compétitivité et d'attractivité des investissements font pression à la baisse des salaires et des prix. La financiarisation se traduit par le développement sans précédent des marchés d'actifs et de produits dérivés, la liberté quasi totale du capital de circuler, la globalisation financière, la diminution du financement bancaire au profit du financement sur les marchés, la titrisation, la centralisation de l'épargne auprès des investisseurs institutionnels de type fonds de pension et de placement. Ces investisseurs imposent alors la règle de la gouvernance d'entreprise et de la valeur pour l'actionnaire car ils détiennent l'essentiel de la capitalisation des entreprises. Ces dernières s'y soumettent volontier, puisque les managers sont rémunérés alors en stock options. Face à des exigences de rentabilité de l'ordre de 15% à comparer à un PIB qui croît à 3%, les entreprises augmentent les dividendes, rationalisent les investissements, délocalisent, fusionnent, "dégraissent", externalisent et au final font pression à la baisse sur les salaires. Les états voient leur dette croître au début des 80's sous les effets des changements de politique monétaire : les taux d'intérêt réels atteignent des niveaux très élevés à l'époque, permettant de casser l'inflation, mais gonflant la dette des états (les premières crises de la dette dans les pays du Sud éclatent, et c'est le virage du consensus de Washington). Ces derniers, sous la contrainte des investisseurs internationaux, renoncent peu à peu aux politiques keynésiennes (sauf les USA) au profit des politiques de libéralisation des marchés et la recherche d'attractivité des capitaux les lancent dans une concurrence fiscale régressive. Les banques centrales quant à elles n'ont plus comme objectif que la stabilité des prix et l'évitement des krachs boursiers. Ce nouveau régime, appelé financiarisé ou patrimonial par les régulationnistes, est marqué par une grande instabilité. En effet, la croissance dépend de la hausse du prix des actifs et plus des salaires, puisque ces derniers stagnent et que leur part dans la valeur ajoutée diminue : les bulles spéculatives et les dividendees versés alimentent la consommation des riches (effets de richesse), tandis que les salariés américains sont poussés à s'endetter pour consommer à crédit et que l'investissement est rationné. Le déficit commercial se creuse durablement, mais cela est possible temporairement grâce au statut impérial du dollar. La stabilité du régime dépend crucialement du non éclatement des bulles et du crédit, donc suppose que la politique monétaire fournira en permanence des crédits supplémentaires en cas de krach. Il en résulte un gonflement des dettes privées (ménages) et une fragilisation financière à la Minsky : l'innovation financière alimente la spéculation sur des titres de plus en plus risqués, amenant une hausse de l'endettement, d'autant plus facilement que la banque centrale refinance à taux d'intérêt faible les banques privées. Lorsque les prix de l'immobilier ont commencé à s'effondrer, les premiers ménages firent faillite, amenant un gel du crédit et de la consommation des ménages, puis une chute du prix de tous les actifs, qui précipita la récession. Celle-ci fut limitée par des plans de relance d'une ampleur inégalée, et des injections de liquidités considérables pour sauver le système financier et les banques... ce qui alimente encore la spéculation. La récession et les plans de relance augmentent encore l'endettement des états qui se retrouvent de plus en plus asphyxiés...Plus que jamais la crise est grave, et elle amènera des réformes profondes, mais combien de temps cela prendra-t-il et combien de désordres auront été généré? La réponse vraisemblable est beaucoup de temps et de désordres...

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E
<br /> Bonjour,<br /> <br /> Sur votre réponse à la première question, oui je suis d'accord avec vous. Etes-vous d'accord si je complète en disant qu'il existe des règles propres au système de régulation et des règles propres<br /> au fonctionnement d'une économie monétaire de production. Or, comme les 3, 4 systèmes de régulation qui se sont succédés depuis 2 siècles en Europe s'inscrivaient dans le cadre d'économies<br /> monétaires de production, il existe un certain nombre de lois économiques communes à ces différents systèmes de régulation, ils ont tous en quelque sorte un socle commun, qui est tout aussi<br /> important que le système de régulation lui-même.<br /> <br /> Pour la réponse à la deuxième question, merci c'était une simple question de curiosité !<br /> <br /> Et concernant votre question, je pense que payer des gens à creuser des trous et à les reboucher (image) améliorerait déjà mas mal la situation (après ça dépendrait de comment sont financés les<br /> dépenses correspondantes, des manières de lutter contre l'inflation), mais que ce serait la plus bête des politiques de relance à mettre en place et qu'une politique de relance ciblée et qui agit<br /> notamment sur l'offre (en ciblant certains secteurs importants) serait effectivement bien plus efficace.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> oui tout à fait d'accord avec vous. Le capitalisme/économie monétaire de production étant ce qu'elle est il y a des lois "générales", du genre effet multiplicateur, I=S, les taux de profits<br /> baissent quand les salaires augmentent plus vite que la productivité, les lois de Kalecki etc... Ce que change le passage d'un mode de régulation à l'autre ou le passage d'un régime<br /> d'accumulation à un autre, ce sont dans un modèle, les valeurs des paramètres : la répartition salaires-profits, la réaction des salaires aux prix et à la productivité, la propension à consommer,<br /> l'élasticité de la consommation au taux d'intérêt et au prix des actifs, l'élasticité de l'investissement au taux de profit, au taux d'utilisation des capacités et au taux d'intérêt, la<br /> croissance des gains de productivité... Ces changements de paramètres peuvent avoir de gros effets sur le type de régime d'accumulation : on peut avoir des régimes wage-led, des régimes<br /> profit-led, des régimes plus ou moins stables, plus ou moins "financièrement" fragiles etc... D'ailleurs, les postkeynésiens reconnaissent de plus en plus qu'il y a en fonction des différents<br /> paramètres des "régimes d'accumulation" différents, qui peuvent même avoir des propriétés "classiques" tout en étant "keynésiens (voir le modèle de Lavoie et Godley ou celui proposé par Duménil<br /> et Lévy). De plus, il me semble que les régulationnistes spécialistes de macro utilisent aujourd'hui des modèles stock-flux cohérents, comme tous les postkeynésiens. Bon, j'arrête car cela<br /> devient trop technique pour le commun des mortels et en plus ce n'est pas ma spécialité, mais si vous souhaitez prolonger ces réflexions, je vous conseille la lecture des articles suivants :<br /> <br /> <br /> http://www.levyinstitute.org/pubs/wp_567.pdf<br /> <br /> <br /> http://www.wu.ac.at/inst/vw1/papers/wu-wp127.pdf<br /> <br /> <br /> http://www.wu.ac.at/inst/vw1/papers/wu-wp124.pdf<br /> <br /> <br /> http://matisse.univ-paris1.fr/colloque-es/pdf/articles/allain.pdf<br /> <br /> <br /> http://www.jourdan.ens.fr/levy/dle1999o.htm<br /> <br /> <br /> <br />
E
<br /> Bonjour et merci pour tous ces articles très clairs et intéressants !<br /> J'aurais 2 questions à vous poser concernant la théorie de la régulation :<br /> <br /> La première (même si on en avait déjà un peu parlé..). Alain Parguez fait le reproche suivant à la théorie de la régulation : d'après cette théorie une crise du mode de régulation ne peut se<br /> résoudre que par le développement d'un nouveau mode de régulation. Or selon lui la crise est quasi-toujours un problème de sous-consommation (et donc de surproduction, sauf peut-être la stagflation<br /> des années 70, à voir). D'où sa remarque : face à une crise du mode de régulation, une politique de relance serait bien peu utile, ce qui le gêne, qu'en pensez-vous ? Par exemple, la crise de 29<br /> n'aurait-elle pas pu se résoudre par une simple (mais vaste) politique de relance à votre avis ?<br /> <br /> Et la deuxième (plus vague) : pensez-vous qu'il puisse exister un mode de régulation stable ou nos économies sont-elles condamnées à aller de crises de régulation en crises de régulation ?<br /> <br /> Merci !<br /> H.R.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Bonjour et merci pour vos questions,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> concernant la première question, la réponse est tout dépend de la nature de la crise et du mode de développement prévalent. Dans certaines conditions, la politique de relance peut être<br /> nécessaire. Mais elle n'est en aucun cas une garantie de sortie de crise. Sur le cas de la crise des 70's, il est bien clair que les plans de relance ne pouvaient en aucun cas sortir de la crise,<br /> car les problèmes étaient pour le dire vite, à la fois des problèmes d'offre (essoufflement des gains de productivité, rapport salarial plus conflctuel etc) et de demande (modification de la<br /> composition de la demande etc). Rappelons que successivement Chaban-Delmas, puis Chirac et enfin le Mauroy ont réalisé des plans de relance qui ont été dans l'ensemble des échecs (relatifs). Les<br /> régulationnistes à l'époque, qui avaient été consulté, avaient notamment prévenu que cela ne suffirait pas, mais Attali a fait ce qu'il a voulu. Le plus étrange, c'est qu'on est ensuite reproché<br /> aux régulationnistes que la relance n'ait pas marché, alors que c'est ce qu'ils avaient prévu... Dans la crise contemporaine, on voit bien que les plans de relance ont empêché l'effondrement<br /> général, mais maintenant, on a une crise des dettes publiques! Donc à part en changeant très profondément le mode de régulation et le régime d'accumulation, je ne vois pas comment on s'en<br /> sortira. On ne va pas s'amuser à injecter ad vitam eternam de la liquidité et creuser le déficit public pour permettre aux spéculateurs de continuer de faire "business as usual", de laisser les<br /> banques être Too big to fail, de laisser la gouvernance d'entreprise dans l'état de subordination à la valeur pour l'actionnaire, ni de continuer de laisser les inégalités se creuser et le<br /> rapport salarial et l'Etat-Providence se détricoter (et j'en passe tant il y a de changements à opérer). Sans compter que les gains de productivité ont tout de même été assez calamiteux ses 30<br /> dernières années, ce qui implique (si on est "croissanciste") de faire évoluer également les conditions de l'offre (permettre un financement plus efficace de l'innovation, des politiques<br /> industrielles de long terme). Et même si on est plutôt très écolo, il faut aussi préparer la transition écologique, ce qui suppose des modifications profondes des structures productives, du<br /> rapport salarial, de l'Etat et même du régime international. Dire qu'on ne sort de la crise que par un changement de mode de régulation n'est pas qu'une prescription de politique économique, mais<br /> tout simplement une nécessité objective : quand c'est la crise, les cartes sont rebattues, les conflits se rouvrent et donc les acteurs demandent des renégociations des règles du jeu et les<br /> compromis anciens ne tiennent plus. Les acteurs inventeront de toute façon un nouveau régime et un nouveau mode de régulation, ou bien le mode de production s'effondrera et il faudra inventer un<br /> nouveau mode de production. La seule question est quelle forme émergera, et en combien de temps sera-t-elle stable ou stabilisée. Ce qui me permet d'en venir à votre seconde question :<br /> <br /> <br /> il y a évidemment des modes de régulation plus stables que d'autres, le fordisme fut tout de même  beaucoup plus stable que le régime d'accumulation financiarisé, qui fut marqué par une<br /> instabilité patente (d'abord dans les pays de la périphérie, crise mexicaine, puis asiatique, puis argentine etc), puis au centre (krach de 87 sans gravité et crise des savings and loans, crise<br /> du Japon, puis crise de la "nouvelle économie" liée à la bulle internet et enfin la crise finale de 2007-2008). Par contre, les régulationnistes, comme les marxistes d'ailleurs, ne croient pas à<br /> la possibilité d'un mode de régulation "éternellement" stable, qui se reproduirait. Tout simplement parce que le capital fonctionne par le dépassement permanent des limites de l'accumulation, par<br /> l'appropriation de nouveaux espaces d'accumulation et par le bouleversement permanent des forces productives.<br /> <br /> <br /> Permettez moi pour finir de vous poser quelques questions, ou plutôt de faire une remarque à laquelle j'espère vous répondrez : croyez vous sérieusement qu'on peut s'amuser comme Keynes à payer<br /> des gens à creuser des trous pour les reboucher pour sortir de la crise, bref relancer pour relancer? Même d'un point keynésien, je pense que cela est douteux. En effet, la relance doit quand<br /> même pour être viable "cibler" des secteurs prioritaires, même si elle entraine ensuite les autres. Ensuite, comme le montre la théorie du circuit, un investissement ne se transforme pas<br /> mécaniquement en investissement net et en profit si la consommation de capital est importante. Or cette dernière n'est régie par aucune loi très précise, si ce n'est la concurrence et le<br /> changement technologique, autrement dit des conditions d'offre. Donc croire que le keynésianisme ne doive nous faire privilégier que la relance par la demande est à mon avis faux. Il faut pour<br /> que la relance par la demande soit efficace qu'on modifie aussi les conditions de l'offre (précisons que cela n'implique pas d'appliquer le programme néolibéral privatisation, flexibilisation<br /> etc...).<br /> <br /> <br /> <br />