Dette publique, plans de rigueur et économistes atterrés (3)
3. Comment sortir de la crise des dettes publiques et les plans de rigueur sont-ils la solution?
Les plans de rigeur ont pour but de diminuer les dépenses publiques (et hausser quelques impôts) pour réduire la dette publique. Ces plans se justifient dans le cadre néolibéral où comme on l'a vu, toute dette publique est un problème.
Certes, mais le cadre néoclassique n'est valable qu'au plein emploi. Or, la crise a augmenté drastiquement le chômage dit keynésien ou conjoncturel, consécutif à la baisse de la demande globale. Qui plus est, le système bancaire était au bord de l'effondrement général à la suite de l'accumulation des dettes privées celles-ci pourries. Les Etats ont donc fait le choix de faire des plans de relance et de sauver le système bancaire en acceptant un creusement (abyssal) des déficits publics et une hausse des dépenses publiques. Le premier effet aura été de sauver le système bancaire de l'effondrement et de limiter la récession. Les banques sont redevenues rentables grâce à ce sauvetage d'une ampleur inégalée.
Oui mais comme les états ont creusé encore plus leur déficit en sauvant les banques (tout en choisissant de ne pas les nationaliser) et en relançant pour éviter la récession, ces dernières ainsi que les investisseurs institutionnels ont commencé à s'inquiéter de la capacité des états à honorer leur dette souveraine, eux qui quelques mois plus tôt ont sauvé ces mêmes banques!
Ainsi, les taux d'intérêt sur les dettes des états considérés comme les plus fragiles ont commencé à augmenter fortement (les institutions financières percevant un risque de ne pouvoir être remboursés). Conséquence : la Grèce, l'Italie, l'Espagne, l'Irlande, le Royaume-Uni et bien d'autres connaissent des difficultés à se financer à taux raisonnable, sans craindre des effets boules de neige.
Face au risque d'implosion de la zone euro, les états européens ont décidé la mise en place d'un fonds de stabilisation financière pour venir en oeuvre aux états surendettés, à la condition que ces états mettent en place des plans de rigueur, autre nom des plans d'ajustement structurels que les pays en développement ont expérimenté il y a 20 ans. Au programme : baisse des dépenses sociales, des salaires, des retraites etc...La seule avancée est que désormais la BCE puisse racheter, dans certaines situations graves, des dettes souveraines, ce qui revient à un financement monétaire indirect des déficits.
Quel peut être l'effet d'un tel remède de cheval? Approfondir la récession à coup sûr, et du coup réduire encore l'emploi et les recettes fiscales...et annuler l'effet "bénéfique" sur la réduction de la dette, voire carrément augmenter la dette (c'est tout à fait possible hélas, même si ça dépend de beaucoup de paramètres). Effectuer un plan de rigueur en période de vaches maigres est peu soutenable. En général, il vaut mieux faire les efforts de désendettement en période de croissance. Qui plus est, les pays ayant réussi à baisser leur endettement public ont pu le faire souvent grâce à une dépréciation de leur monnaie et par le fait que les pays autour étaient eux en croissance, ce qui permettait d'augmenter les exportations et de compenser la baisse de la demande interne. Les plans de rigueur dans la zone euro sont d'autant plus absurdes qu'ils sont effectués en même temps et en période de récession : donc on ne peut ni bénéficier des effets de relance des partenaires qui pourraient "compenser" la rigueur interne, ni des effets des taux de change qui pourraient s'ajuster et augmenter les exportations (les exportations des pays de la zone euro étant vers d'autres pays de la zone euro). D'autant plus que lorsque les partenaires européens ont sauvé la Grèce, cela a été à la condition express qu'elle honore ses contrats d'armement avec la France et l'Allemagne, Allemagne qui dans le même temps demande à ce qu'on diminue les dépenses publiques...mais visiblement, pas n'importe lesquelles. Qui plus est, pourquoi s'inquiètent-on autant de la dette grecque? Essentiellement parce que cette dette est détenue par des banques allemandes, françaises et anglaises. Donc si la Grèce faisait défaut, des banques des partenaires en patiraient... Belle preuve de solidarité "négative". C'est pour cela que nombre d'économistes sont "atterrés", car les mesures prises ne peuvent en rien résoudre les crises, pire elles risquent de les aggraver.
Alors, que faire ?
Premièrement : assurer le financement monétaire des dettes souveraines par la BCE, notamment pour les états en difficulté. C'est absolument nécessaire pour maintenir des taux bas, et pour assurer la continuité du financement des pays en difficulté.
Deuxièmement : faire défaut et restructurer la dette. Certains s'inquiètent pour la raison précédente (risque de faillites bancaires). Sauf que certains états sont tellement endettés qu'on ne voit guère d'autre solution, et qui plus est, le système bancaire n'est pas exempt de responsabilité dans le creusement récent des déficits...Il paraîtrait normal d'en payer une partie du coup. Comme le montre Dominique Plihon, c'est une mesure rationnelle, nécessaire mais non suffisante link
Troisièmement : nationaliser une partie du système bancaire. Encore une fois, si les banques sont responsables (et elles le sont en grande partie, le cas Irlandais est exemplaire de ce point de vue, voir l'article de Benjamin Coriat link) on ne verrait pas pourquoi on se priverait, d'autant que cela nous faciliterait la tâche pour financer l'activité et orienter l'investissement. A dire vrai, on ne comprend pas pourquoi les états qui ont recapitalisé à des taux défiant toute concurrence les banques, ou en effectuant des nationalisations partielles, se sont empressés de le reprivatiser ou de ne pas en prendre le contrôle direct. A part pour des raisons idéologiques, on ne voit guère d'autre explication...
Quatrièmement : mettre en place une vraie coordination des politiques économiques et une vraie gouvernance de la zone euro et assurer une réduction concertée des déséquilibres commerciaux au sein de la zone euro.
Cinquièmement : augmenter la fiscalité sur les hauts revenus, mettre en place une taxe sur les transactions financières et les plus-values, pour combler les déficits et limiter la spéculation.
Sixièmement : certains préconisent la mise en place de titres de dette européenne. Selon certains cela permettrait un financement plus aisé des pays endettés. La chose n'est pas certaine, car les craintes des investisseurs pourraient ne pas être calmées...il faudrait surtout pour que cela soit plus sûr que la gouvernance de la zone euro soit améliorée, et que la solidarité au sein de la zone soit véritable.
Dernier point : il apparaît évident qu'il faut retrouver une croissance positive, condition nécessaire à la baisse du taux d'endettement. Ce ne sont donc pas des plans de rigueur qu'il faut, mais au contraire que les états les moins endettés relancent leur activité pour que les autres bénéficient de la croissance, de rentrées fiscales et d'une diminution des déséquilibres commerciaux.
Ces mesures sont nécessaires, mais il n'est pas du tout dit qu'elles seront suffisantes mais surtout, il est possible qu'elles ne soient pas appliquées. Ce qui explique la campagne des atterrés...