L'idéologie économique et la politique

Publié le par MM

Salut à tous,

bienvenue sur un blog dévolu à la déconstruction et à la critique systématique des idées reçues et dominantes en économie. Aujourd'hui l'idéologie dominante prétend que "l'économie" (terme jamais défini) est dominante dans la société, que ses "lois" s'imposent aussi invariablement que la gravitation universelle influence le mouvement des corps célestes. L'"économie" est invoquée pour justifier des "choix" de "réformes nécessaires", arguant qu'il existe "un consensus entre les experts". La politique se réduirait alors à faire "de la pédagogie" pour expliquer au bas peuple que ses aspirations sont très naturelles, mais doivent se soumettre à la "raison économique" notamment à l'impératif de la "mondialisation" et de la compétitivité, car "les autres pays"  ont fait ces fameuses réformes. Une forme de technocratie qui n'est autre qu'une renonciation à la politique et une forme de totalitarisme économique. "There's no alternative", comme disait Margareth Thatcher, voilà l'idéologie dominante, qui s'impose comme une croyance dans les lois de l'économie. Cette croyance est alimentée par de multiples acteurs : hommes politique cherchant à justifier leurs choix, journalistes, entrepreneurs et pour finir les économistes. Les sciences économiques (en tout cas une de ces écoles et certains de ces membres) fonctionnent comme la superstructure du monde contemporain et la source de légitimation des hommes politiques et des journalistes. Evidemment, cette idéologie dominante est largement alimentée par l'idéologie libérale, mais les choses sont en fait plus compliquées, puisque la croyance dans la domination de l'économie est également partagée par un certain nombre de critiques du libéralisme (certains partis politiques de gauche, certains mouvements anticapitalistes, certaines vulgates marixsantes).

Pourtant, contrairement à un certain discours convenu, il n'y a pas une seule façon d'analyser l'économie (une science unifiée autour d'un seul paradigme si on préfère) qui serait supérieure aux autres, et en conséquence il n'y a pas de raison qu'existe un consensus sur les bonnes actions à mener en matière de politique économique. Au contraire même, il est rare de trouver un point d'accord entre différentes écoles... D'autant plus que les "lois" économiques sont toujours construites : tout scientifique sait qu'il ne peut connaître "directement" le monde réel. Ce qu'il connaît, ce sont des modèles, des représentations construites et façonnées par lui pour proposer une explication des phénomènes. Rappelons que l'abstraction est un mouvement de "négation" du réel (Hegel), d'élévation du concret et de sa complexité, pour ensuite pouvoir l'analyser. Les lois qui sont mises en avant sont donc avant tout les lois des modèles, construits sur des hypothèses simplificatrices. Si par chance, le modèle permet de prévoir correctement les phénomènes qu'il analyse, alors c'est une représentation valide. Traditionnellement, les autres sciences pratiquent l'expérimentation pour mettre à l'épreuve ses modèles; en économie c'est presque toujours (sauf quelques exceptions) impossible : personne ne peut imposer de baisse de salaire, pour vérifier son propre modèle. Ce sont donc les statistiques, l'histoire et d'autres méthodes qui jouent le rôle de vérification empirique. Et là, de façon intéressante, le plus souvent il est très rare que l'empirie ait permis de faire le tri entre les modèles et théories, car l'économie est extrêmement complexe, influencée par de multiples facteurs (même si pourtant, l'empirie nous apprend des choses). Les "lois" de l'économie sont également construites en un deuxième sens: elles sont façonnées par les hommes et leurs institutions, à la fois multiples et variables dans le temps et l'espace. D'où la difficulté d'offrir une théorie économique "universelle". Enfin, si les hommes prennent conscience des lois économiques qui les gouvernent, cela peut modifier leur comportement et modifier ces lois (prophéties auto-réalisantes ou auto-invalidantes).

Ce n'est donc pas la raison économique (terme en lui même frappé à l'idéologie) qui justifie les politiques économiques, mais une certaine idéologie, éventuellement alimentée par certaines écoles de pensée économique, en particulier l'école dominante, l'école néoclassique. Qu'on s'entende bien, il ne s'agit pas de dire non plus que la science économique, que j'appellerai désormais plutôt économie politique, n'est pas une science (encore que cela puisse être soumis à débat). L'économie politique est une science dans la mesure où elle utilise des méthodes, construit des outils et des théories, qu'elle tente de valider ou infirmer empiriquement. D'ailleurs, il existe de grands débats et controverses qui traversent et animent cette discipline. Cependant, reconnaissons que la branche dominante, l'école néoclassique et toutes ces sous-écoles, a une tendance à se définir elle-même comme "la" science économique véritable" et à pratiquer une forme de de sectarisme envers les approches concurrentes. Cette approche est comme on le verra dans ce blog, criticable à plus d'un point, mais tend à écraser les autres écoles de pensée par sa position (via ses membres) dans les instances universitaires et scientifiques, qui lui permet d'imposer des standards tirés de sa propre pratique et ainsi délégitimer les autres approches (standards fondés sur l'impératif de modèles mathématiques de plus en plus sophistiqués, quitte à sacrifier totalement le réalisme des hypothèses). Pourtant, ces dernières résistent et produisent des connaissances, c'est-à-dire des outils pour expliquer l'économie. Certains étudiants parfois se plaignent de cette diversité d'approches : "on ne peut pas avoir une approche qui soit la synthèse qui mette tout le monde d'accord". Réponse : non, pas pour le moment, car les modèles, écoles et théories sont fondées sur des méthodes, hypothèses et ontologies largement incompatibles, notamment entre l'orthodoxie néoclassique d'un côté, et les hétérodoxies de l'autre. Et je dirais tant mieux, car l'homogénéisation est source d'appauvrissement et de sectarisme, tandis que la concurrence entre écoles est source d'invention et d'imagination scientifique. Tant mieux aussi, car cela laisse la porte ouverte à des politiques radicalement différentes, et donc la place à la démocratie face au marché.

Est-ce que pour autant c'est 'l'économie", comme sphère sociale particulière qui domine le monde? Il faudrait d'abord se mettre d'accord sur ce qu'on met sous vocable. Economie vient du grec(oikos maison, nomos loi) et désignait autrefois les règles de "bonne" gestion de la maison, du ménage. Le sens a aujourd'hui évolué et désigne plutôt l'ensemble des activités orientées vers la production, la consommation et la répartition de richesses. Ok on avance, mais c'est quoi une richesse au fait? L'argent? L'homme ? (ne dit-on pas qu'il n'y a de richesses que d'homme?) le temps? Non, la définition d'une richesse est beaucoup plus générale : c'est l'ensemble des "actifs", biens et produits qui satisfont au bien être et aux intérêts des hommes. L'économie est donc la sphère de la recherche de la richesse et de l'intérêt, dans son sens le plus général. A côté de l'économie, deux ordres sociaux cohabitent (Théret, 1992) : l'ordre symbolique, qui désigne l'ensemble des représentations, valeurs et symboles partagés par une communauté (sa culture en somme), et l'ordre politique, qui désigne l'espace de médiation dans lequel les intérêts peuvent s'opposer pour la définition de l'organisation générale de la cité (celui qui définit l'organisation du pouvoir). Alors l'économie domine-t-elle les deux autres ordres? On pourrait se dire que oui, si on considère que toute action humaine a besoin d'un motif d'action, d'un intérêt; en effet comme Bourdieu (1994) l'avait montré, une action (sociale) désintéressée est impossible. Pour autant, les intérêts sont définis socialement, car ils dépendent des valeurs et de la grammaire partagées par la société. De plus, le politique est là pour médiatiser ces intérêts en définissant les institutions qui encadrent le comportement des agents, leurs droits. Notons ensuite qu'aucune action n'est purement économique, mais que toute action est toujours en partie économique : se brosser les dents est un acte économique autant que spéculer sur le marché des actions, cependant toutes ces actions sont inscrites en même temps dans la culture de la société et sont encadrées par le droit et le politique. Donc réponse : l'ordre économique ne domine pas, il interagit avec l'ordre politique (celui du pouvoir) et l'ordre symbolique (celui du langage et de la culture).

Ces arguments permettent déjà d'offrir des arguments à opposer à l'idéologie dominante et à la politique "tout le monde fait comme ça, ces arriérés de français doivent faire pareil" et "à la pédagogie doloriste" (serrez vous la ceinture, il n'y a pas d'alternative, l'économie l'exige). 

Mais ceci n'était qu'une introduction. Pour être efficace, il faut que la critique s'attaque plus précisément, qu'elle déconstruise chaque élément de l'idéologie générale. Dans les prochains articles, on se focalisera sur une thématique ou une idée en vogue qu'on déconstruira. Le prochain article portera sur le slogan "travailler plus pour gagner plus" et la défense de "la valeur travail".

En attendant, vous pouvez réagir et si vous voulez des éléments de bibliographie, n'hésitez pas.

à +

Bourdieu Pierre (1994), "Raisons pratiques. Sur la théorie de l'action, Le Seuil, Paris
Théret Bruno (1992), régimes économiques de l'ordre politique. Esquisse d'une théorie régulationniste de l'Etat,  PUF, Paris

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article